Tuesday, September 21, 2010

En revoyant Lubitsch



Période faste pour Lubitsch sur les écrans français. Un cycle consacré à son oeuvre à la cinémathèque en témoigne.
Je réussis à persuader un ami, qui ne jure que par les séries contemporaines et les films récents, de m'accompagner voir To be or not to be, un must du genre il est vrai. Rechignant et perplexe, convaincu qu'un ennui indépassable l'attend, mon ami me suit donc. Au champo, il y a la queue sur le trottoir, pour un film si facile a voir partout. C'est un signe. Un monsieur nous dit "c'est la 25ème fois que je le vois mais bon". Eh oui c'est ça la magie Lubitsch, particulièrement ce film: on peut fort bien le voir indéfiniment. En plus, il y a quelques jeunes dans la foule. cela devrait rassurer mon ami...
A la fin de la séance, mon ami, que j'ai entedu rire à plusieurs reprises, me dit qu'il a adoré et qu'il a trouvé ça super marrant. je te l'avais bien dit, lui réponds je, content de moi pour le coup.
A le revoir, To be or not to be m'apparait relever de la grosse farce, un peu énorme par moment même. mais cette énormité n'empêche pas la subtilité et la rigueur de la construction confinant à la virtuosité la plus vertigineuse. c'est ça qui est admirable: c'est trés intellectuel, mathématique même, et c'est à hurler de rire. si c'est une farce, c'est qu'il y a d'abord une intention politique, dans le contexte de la guerre: se foutre ouvertement de la gueule d'Hitler et des nazis. plus que sinistres ou effrayants, ils sont constamment ridicules dans ce film. Des pantins mécaniques,obéissant aveuglément aux ordres.
ce qui est frappant dans cette histoire , c'est que c'est une troupe de théâtre qui déjoue l'oppresseur. Les saltimbanques ont raison du tyran, par les seules ruses de l'artifice et de la fiction, en faisant leur métier: jouer des rôles. On retrouve un thème lubitschien en diable: le réél et son double, le jeu de la réalité et de la fiction, la vie comme spectacle et illusion...une idée un peu baroque du monde donc. par ailleurs, le scénario joue admirablement de l'intrication de l'intrigue privée (le comédien jaloux de sa femme courtisée par un admirateur) et de l'intrigue politique (le plan pour déjouer les nazis); les deux lignes se confondent souvent, tout en s'enrichissant mutuellement, se faisant rebondir l'une l'autre et surtout nourrissant toute la substance comique du film. L'équilibre atteint est parfait. C'est un miracle, un pur bonheur. Et c'est pourquoi mon ami, bluffé et stupéfait, a adoré ce film.

Friday, September 10, 2010

Au sujet de l'affaire lemaire et de l'armée américaine

Conjonction parlante de deux affaires dans l'actualité. Dans un club de foot amateur des Ardennes dans le nord de la France, un footbaleur, homo revendiqué, se voit refuser sa licence sans motif clair même si il ne fait guère de doute que son orientation sexuelle en est la cause. Décision d'autant plus étrange que le joueur avait déjà révélé sa particularité et avait été accepté comme tel. S'emparant de l'affaire, qui sent l'homophobie a plein nez, le club de foot gay Paris football gay, autant porté sur la communication que sur les résultats sportifs ( c'est un peu l'act up du foot), soutient le footballeur exclu et fait du buzz, et l'affaire s'emballe sur le plan médiatique. LE PFG saisit même le conseil national de l'Ethique pour discrimination et aussi pour avertir les consciences.
Dans le même moment, un tribunal de californie remet en cause sur le plan constitutionnel un règlement propre à l'armée américaine, la loi dite Dont ask dont tell, enjoignant les militaires gays et lesbiennes à cacher et à taire leur orientation sexuelle. C'est à dire à mentir. Le chef d'état major des armées se déclare même en faveur de l'intégration des militaires ouvertement gays au sein de l'armée. Décidément les temps changent.
Les deux affaires offrent de belles similitudes. D'une part, elle se passent dans des milieux traditionnellement machistes et homophobes, le foot et l'armée. Des espaces constitutifs et emblématiques de la virilité, où les hommes se retrouvent entre eux et se construisent (en fonction de certains modèles ou règles).
D'autre part, ce qui relie plus profondément les deux cas, c'est que ce n'est pas du tout l'homosexualité qui pose problème mais la révélation de l'homosexualité: le fait de ne pas la cacher ou la taire, le fait de se dire homosexuel. On le voit bien, aussi bien dans le club de foot que dans l'armée, on ne dit pas qu'il n'y a pas de gays ni même qu'il n'en faut pas, mais simplement qu'ils ne doivent pas le dire. Leur homosexualité n'est admise que pour autant qu'elle demeure cachée, non dite. Car au fond, on sait très bien qu'il y en a et que même l'homosexualité existe, qu'elle a toujours existé, y compris entre hétéro, de façon diffuse, latente, sous forme de désirs larvés ou d' échange de regard par exemple, et qu'elle est toujours prête à surgir, explosive.
Dans le milieu du foot ou celui de l'armée, c'est bien le sujet tabou par excellence. A savoir ce qui existe mais dont on ne parle pas, dont il est plus interdit de parler que de pratiquer. Ce qui ne doit pas exister au grand jour de la parole mais rester dans l'ombre, enfoui dans la nuit de l'informulé.
Mais cet interdit souligne en retour son importance fondatrice et sa puissance, qu'on redoute. L'armée ou le foot constituent des lieux de construction et de sociabilisation des hommes et de l'identité masculine. Là ou se fait la communauté des hommes, en tant que séparés des femmes à la base, à l'image de rites initiatiques de certaines sociétés primitives, où les jeunes garçons sont séparés des filles et vivent entre eux, parfois même s'adonnant à des pratiques homosexuelles. L'identité masculine forte suppose le partage strict des sexes (même si bien sur l'armée a ouvert ses portes aux femmes, mais elles restent mal vues). De ce fait, la présence d'une personne ouvertement homo ne peut que déranger cette vision de l'identité et de la communauté masculine. De la même façon que la présence d'une femme. L'homo vient chambouler cet idéal de la virilité type, et ce strict partage des rôles, ou chacun des sexes est dans son camp. Et dans ce partage, il n'y a pas de place pour le désir sexuel du même, qui viendrait tout perturber. L'homo est comme l'introduction du féminin au sein même du masculin, tel un cheval de Troie. Cela correspond à une angoisse ancestrale de baisse de la virilité, de dévirilisation, c'est à dire de castration et donc de féminisation (efféminement) et des qualités d'âme qui lui sont traditionnellement associées (courage, force, dureté...). Il ne faut pas chercher ailleurs la raison des insultes à l'égard des homos qui comme on le sait fleurissent dans ces lieux et qui systématiquement suggèrent une absence de force ou de courage (tapette, tarlouze, pédale, femmelette). L'insulte a ici pour fonction de désigner ce qu'on ne doit pas être; par elle, on pose en s'opposant: on est des hommes parce qu'on n'est pas des pédés. D'une certaine façon, l'homo est une sorte de traitre, traitre à la communauté des hommes. Pédé est l'insulte suprême, parce que fondatrice, de la communauté des hommes, l'insulte du social comme instance de contrôle de la sexualité.
En effet, on admet que les hommes vont partager les vestiaires, les chambrées, les douches etc, bref une certaine intimité et proximité corporelle. Et cela n'est possible que s'il n'y a pas d'ambiguïté , c'est à dire de désir ( ce qui est un voeu pieux bien sur!). Cela peut se comprendre: après tout, on admet encore que les vestiaire des hommes et des femmes soient séparés. Soyons clair, un homme hétéro aura beaucoup de mal à prendre une douche en présence de gays (mais n'éprouverait il pas une gêne en présence de femmes, une gêne mêlée de désir?).
Voilà donc, à mon sens, les éléments d'une mentalité traditionnelle que vient bousculer l'affaire Lemaire et l'affaire de l'homosexualité dans l'armée US. il s'agit de la différence entre une homosexualité fermée et une homosexualité ouverte.
Pourtant, se dire homosexuel,vivre ouvertement son homosexualité, ne va pas de soi...