Littérature et Internet
(Réaction à un article d’Antoine Compagnon repris dans letiers-livre, le blog de François Bon)
J’aimerais proposer ma propre réflexion cet intéressant article de Monsieur Compagnon, qui a mon sens pose bien les grands enjeux de la littérature en ce début de 21è siècle. La littérature : a savoir cet ensemble vaste et complexe impliquant l’écriture, le texte littéraire, les genres, la chaine du livre etc Dans son célèbre texte l’oeuvre d’art à l’heure de la reproduction technique, walter benjamin posait déja le problème, avec ce mélange d’admiration devant les prouesses de la technique, et une vraie angoisse. Le problème étant : face aux bouleversements qui affectent l’art, est- ce bien toujours de l’art ? et c’est bien cette question, à la lecture de l’article de M Compagnon, qu’on en vient à se poser : la littérature, à l’heure de la révolution numérique, reste t elle toujours bien de la littérature, ou bien change - t -elle tellement, radicalement, de nature, de forme, de mode d’être etc qu’elle devient autre chose, ne correspondant a rien de connu pendant la prestigieuse période des humanités et du "sacre de l’écrivain", fondée sur le culte de l’objet livre ? Autrement dit, cette question a le mérite de rappeler la part technique occultée pendant longtemps de la littérature, tellement occultée qu’on peut poser cette question : la littérature doit elle avoir peur de la technique. La littérature, à l’heure du règne du livre, s’appuyait sur des procédés techniques et un réseau industriel puissant , toute une chaîne de fabrication et de distribution qui contribuait a bâtir cette civilisation des lettres. La littérature s’inscrit dans la longue chaîne de l’histoire des supports d’inscription de la culture et du savoir. il n’y a pas d’écriture en soi, elle dépend toujours d’un support, qui est toujours un objet technique, avec ses caractéristiques et ses fonctionnalités propres. Simplement le livre correspond à un certain stade de la technique : mécanique entièrement. Le numérique comme nouveau support repose sur l’électronique et l’informatique. Evidemment, ce qui nous désarçonne, surtout les tenants d’une tradition lettrée, qui s’arcbouteront sur des habitudes qu’ils ont toujours connues, c’est l’ampleur et la rapidité du changement, sans précédent. On passe clairement dans un autre monde. Cela ne peut aller sans angoisses. Par ailleurs, on voit bien que le support technique n’est pas tout a fait neutre vis-à-vis du contenu. Tout nouveau média implique de nouvelles façons d’écrire et de lire, des formes et contenus nouveaux. C’est bien le cas du numérique. En l’occurence, la possibilité inouïe de la convergence des médias, qui permet de mêler texte, images animées et son. Ce qui fait dire à M. Compagnon que l’image va supplanter l’imaginaire. on remarquera aussi que les innovations technologiques peuvent aussi s’accompagner d’étranges retours en arrière. Ainsi le support numérique (la lecture sur internet) est proche du volumen plutôt que du codex. L’ebook ou le reader est précisément la tentative d’adapter le codex à la technologie numérique. Mais revenons à cette réflexion sur l’imaginaire. Il est certain que l’essence même de la littérature risque de changer car si le numérique peut donner immédiatement accès à une chose évoquée (un air de musique par exemple) alors l’écriture n’a presque plus de raison d’être. En effet, et c’est toute la réflexion de Blanchot, la littérature suppose l’absence, c’est à dire la mort. "dans la parole meurt ce qui donne vie à la parole". Inversement, l’erreur consiste à penser que l’innovation technologique menace la culture antérieure. Le livre, comme objet technique, a par exemple permis de sortir de l’oubli des auteurs de l’antiquité, dont les oeuvres de leur vivant n’étaient pas diffusées sous formes de livres. Il peut en être de même avec le numérique. La littérature au sens traditionnel, avec tout le prestige qui l’accompagne (les grands écrivains) est donc lié à un support technique bien défini : le texte écrit imprimé sur papier, c’est a dire le livre (le fameux Livre de Mallarmé) Avant l’avènement du numérique, ce support allait de soi, comme l’air qu’on respire. Désormais, il révèle ses limites, et s’avère obsolète sur bien des points...(même si le livre continue de se vendre par millions). En bref,le numérique fait accéder le texte littéraire d’un monde solide à un monde liquide (ou tout converge au lieu d’être nettement séparés), de la matière (lourde...) à l’immatériel et du temps long à l’immédiateté absolue. Quoi qu’il en soit, la littérature ne saurait avoir peur de la technique, car comme toute activité humaine, elle est elle même inscrite dans des processus et objets techniques. Elle doit prendre a bras le corps cette révolution numérique, non sans éprouver une certaine angoisse de passer d’un monde ancien à un monde inconnu.
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