Au tribunal de grande instance de Paris, un procés oppose deux scientifiques autour des OGM. D'un coté, Marc Fellous, prof de génétique et chef de service à L'institut pasteur, de l'autre l'autre Gilles Eric Seralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen. Le second, critique vis à vis des OGM, accuse le premier, pro OGM, d'une "campagne de dénigrement". Monsieur Fellous, en effet, a qualifié monsieur Seralini d'être un "marchand de peur".
Cette affaire est à mon sens extrêmement importante, bien plus décisive à long terme qu'une affaire Karachi (minable histoire d'escroquerie au sommet de l'Etat). Elle pose clairement les enjeux et les dilemmes quasi insolubles du monde moderne, dans lequel nous sommes tous pris (nous= la population, l'humanité), et donc pas seulement les scientifiques.
C'est bien là le problème des questions technologiques aujourd'hui: une affaire d'experts très pointus, à laquelle personne ne comprend rien, à commencer par les politiques (pensez vous par exemple que Sarkozy soit en mesure d'avoir un avis sur la question, sinon favoriser une entreprise de biotech). On voit bien ici que la technocratie s'oppose fondamentalement à la démocratie, du fait même de l'ignorance de la masse. ce serait assez facile à prouver: si l'on organisait un référendum sur les OGM, il est évident que la majorité des gens s'y opposerait. Il faudrait relire à ce sujet Jacques Ellul, grand penseur de la technique quasi ignoré en France, mais à l'influence énorme aux Etats Unis et parmi certains groupes activistes (il fut le prof de José Bové).
Alors l'intérêt de ce procès, c'est d'abord de ramener la technoscience dans la sphère démocratique. Il révèle que les chercheurs ne sont pas d'accord entre eux, et donc qu'il ne s'agit pas de faits compliqués, de mécanismes indubitables sur lesquels il n'y aurait rien à discuter. C'est aussi une querelle d'opinion et idéologique.
Ce qui veut dire que le débat ne se ramène pas seulement à une question scientifique du type: est ce vrai ou faux ou comment ça marche?
L'enjeu c'est: dans quel monde on veut vivre? Les OGM, est ce vraiment une bonne chose? En a t on réellement besoin? etc. Il s'agit donc d'un problème éthique et politique, lié à la question du bien commun. En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout aux intentions nobles de nourrir toute l'humanité ( j'ai même entendu parler de fabrication de steack par clonage). je pense plutôt qu'on est dans la vérification du théorème de Gabor: tout ce que la technique peut faire, elle le fera.
Pour les anti OGM, je pense que l'opposition de principe à cette technologie provient d'un rapport philosophique à l'idée de nature. En effet, les OGM posent clairement la question "qu'est ce que c'est que la nature?" Selon certains penseurs, c'est la question principale de l'esprit occidental, à l'origine de toute l'évolution de ce monde. Comme l'écrit Hegel, L'homme est l'animal qui nie l'être, donc qui s'oppose à la nature, qui la tue pour mieux la transformer à son avantage. Il y a dans le formidable développement de la civilisation occidentale (l'histoire), dans le progrès technoscientifique une forte charge négative. Les OGM n'échappent pas à la régle: si on modifie un organisme, on le nie nécessairement en partie. Ce négatif en acte devient même porteur de mort et affirmation du nihilisme lorsque on veut introduire dans des plantes des gènes bloquant le processus naturel de reproduction ( le fameux gène terminator de Monsanto)
Tel est donc le défi philosophique et éthique (et pas du tout scientifique) posé par les OGM. Qu'est ce que la nature? Est-ce quelque chose que l'on doit modifier , améliorer sans cesse et jusqu'à quel point, ou bien est ce une chose à préserver, à sauvegarder, dont on doit prendre soin, et donc qu'il ne faut pas (trop) changer. On pensera aux métaphores traditionnelles: la Nature comme Mère, comme Maison, le tout dont l'homme est partie. En langage moderne: la biosphère, l'environnement. Que dit un film comme Avatar de Cameron? ne touchez pas à la nature...
Depuis le néolithique, l'homme certes travaille la nature, ce qu'on appelle l'agriculture, mais il compose avec elle. Il oriente les processus naturels (ensemencement, moisson) mais les laisse intacts en eux même. Ce n'est plus le cas avec les OGM, puisque la nature, dans ses processus intimes, est modifiée. Par ailleurs, la nature comme "bien commun" est niée puisque elle devient objet de laboratoire et par ailleurs privatisée et source de profits...sans oublier bien sur les impacts inconnus sur l'environnement. Cette idée inquiétante qu'on peut, ce faisant, bouleverser la chaîne et l'équilibre naturel...
On aura beau défendre avec arrogance l'avancée scientifique et le progrès, il est parfaitement logique que le commun des mortels et les paysans encore présents ressentent une méfiance instinctive à l'égard de ces êtres mutants.
Dans nos sociétés aussi confiantes dans la science et la technique, l'opposition aux OGM apparait comme un scandale intolérable, d'où l'attaque agressive de Monsieur Fellous. En effet, cette résistance pose implicitement la question d'un arrêt des recherches et du développement technique...
Nous sommes donc face à un défi majeur de civilisation, peut être une aporie à laquelle se heurte la culture occidentale et qui marque le début de son déclin.
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