Un petit débat a lieu en ce moment concernant la place de la culture générale dans notre société. Ainsi, on a supprimé la culture générale dans le concours d'entrée à Sciences po (mesure de discrimination positive). Dans un article du nouvel obs, un journaliste, assistant à une représentation de Phèdre au théâtre de l'Odéon et remarquant la présence de nombreux scolaires, s'interroge sur la place de la (haute) culture aujourd'hui. Pour répondre à cette question, il faudrait déjà se demander ce qu'est ou ce qu'on entend par culture générale. Question sans cesse posée et définition sans cesse réactualisée au gré des époques. A vrai dire, il n' y a pas de définition universelle de la culture (générale).
On pourrait aborder le problème sous l'angle de la notion de classe. La culture générale défavoriserait ainsi certaines catégories de la population. La culture classique précisément correspondrait à une certaine classe: à savoir la classe bourgeoise, associée du coup à l'ancien. De fait, le théâtre c'est un divertissement de bourgeois, et Phèdre l'illustrerait magnifiquement. Mais je ne m'attarderais pas là dessus.
Je reviens au syntagme même de culture générale. Justement, la culture est-elle générale par définition? Y a-t-il une culture du particulier? Cet angle permet déjà de soulever certaines pistes. Ainsi, dans une société modelée par la techno-science, à l'heure du triomphe de savoirs ultra spécialisés et pointus, chacun enfermé dans les limites de son champ, la culture générale ne peut que dépérir, dans la mesure où elle est le contre modèle de ce qui fonctionne aujourd'hui. En effet, l'homme cultivé, au sens même encyclopédique du terme, est clairement dévalorisé dans notre système d'experts. Cela ne sert à rien dans un CV par exemple. Au contraire...si l' on réclame un profil d'exécutant ou de gestionnaire, comme c'est le cas dans toutes les entreprises aujourd'hui, ça fera peur. Le système veut des gens incultes.
Le cas de Phèdre de Racine est exemplaire. On continue à jouer cette pièce et à transmettre ce texte. La culture est spontanément associée au champ de la littérature: c'est un beau texte, une belle langue, comme on n'en fait plus etc. Et bien sur, cela ne sert strictement à rien (même pas à vous divertir), si ce n'est acquérir un semblant de prestige dans certains diners en ville (ça,ça peut servir: vous tombez sur un dirigeant quelconque bien inculte, vous le surprenez et séduisez par une citation du plus bel effet, et il vous propose un travail; cependant une fellation peut également faire l'affaire). Mais bon ce qui est le plus utile dans une maison ce sont les "latrines, comme le dit si bien Théophile Gautier, et la beauté ne s'accommode pas mal d'une certaine inutilité. En d'autre termes, c'est clairement ce qui n'a plus cours au présent, et ne correspond à aucun usage de la vie moderne en 2012. C'est une réalité lointaine, exotique ( mais c'est déjà le cas du temps même de Racine, qui parle d'un éloignement nécessaire, d'où le choix de personnages mythologiques etc.).
En ce sens, la culture aujourd'hui, dans nos sociétés irrémédiablement industrielles et techniciennes (et accessoirement démocratiques), c'est nécessairement ce qui a été perdu, et ce qui ne se fait plus. Ainsi, aucun écrivain n'écrit des tragédies à la manière de Racine ou ne s'exprime en alexandrins. Quand bien même il le ferait, il serait ridicule. Un objet ne devient culturel qu'au moment où il meurt, en tant qu'objet passé. Ce qui survit cependant, à l'état de traces, c'est le texte original, qu'on continue de transmettre, à la façon d'un culte religieux, d'une cérémonie liturgique. On ressuscite et réactualise le texte (la pièce) le temps d'une messe théâtrale. Mais cela suppose que l'objet du culte soit bel et bien mort. Hegel a déjà magistralement repéré ce processus dans sa célèbre théorie de la mort de l'art.
C'est un peu comme en ethnologie. J'ai entendu un ethnologue spécialiste du Maghreb expliquer son entreprise de recueillir et d'enregistrer des chants touaregs, transmis depuis des lustres. Au moment même où ces chants étaient publiés , ils disparaissaient peu à peu des pratiques quotidiennes, les jeunes générations étant gagnées par l'américanisation et l'occidentalisation. Mais précisément l'entreprise de connaissance s'identifie ici à une entreprise de sauvegarde du patrimoine: on veut connaitre ces chants pour ne pas les perdre mais c'est justement le signe qu'ils sont déjà perdus. Bref, les chants touaregs deviennent alors définitivement des objets culturels et folkloriques (et objets de savoir). Pourtant ils existaient solidement, sous forme de transmission orale, avant leur intégration dans le culturel parce qu'ils étaient inscrits et pratiqués dans la vie même des membres de cette communauté.
De même, Phèdre de Racine c'est notre folklore littéraire, participant d'une identité littéraire nationale qu'on essaie à tout prix de sauvegarder.
La culture générale, si elle garde un certain prestige voire si elle intimide, est précisément ce qui est refoulé et écarté par nos sociétés, de plus en plus férocement incultes.
On pourrait aborder le problème sous l'angle de la notion de classe. La culture générale défavoriserait ainsi certaines catégories de la population. La culture classique précisément correspondrait à une certaine classe: à savoir la classe bourgeoise, associée du coup à l'ancien. De fait, le théâtre c'est un divertissement de bourgeois, et Phèdre l'illustrerait magnifiquement. Mais je ne m'attarderais pas là dessus.
Je reviens au syntagme même de culture générale. Justement, la culture est-elle générale par définition? Y a-t-il une culture du particulier? Cet angle permet déjà de soulever certaines pistes. Ainsi, dans une société modelée par la techno-science, à l'heure du triomphe de savoirs ultra spécialisés et pointus, chacun enfermé dans les limites de son champ, la culture générale ne peut que dépérir, dans la mesure où elle est le contre modèle de ce qui fonctionne aujourd'hui. En effet, l'homme cultivé, au sens même encyclopédique du terme, est clairement dévalorisé dans notre système d'experts. Cela ne sert à rien dans un CV par exemple. Au contraire...si l' on réclame un profil d'exécutant ou de gestionnaire, comme c'est le cas dans toutes les entreprises aujourd'hui, ça fera peur. Le système veut des gens incultes.
Le cas de Phèdre de Racine est exemplaire. On continue à jouer cette pièce et à transmettre ce texte. La culture est spontanément associée au champ de la littérature: c'est un beau texte, une belle langue, comme on n'en fait plus etc. Et bien sur, cela ne sert strictement à rien (même pas à vous divertir), si ce n'est acquérir un semblant de prestige dans certains diners en ville (ça,ça peut servir: vous tombez sur un dirigeant quelconque bien inculte, vous le surprenez et séduisez par une citation du plus bel effet, et il vous propose un travail; cependant une fellation peut également faire l'affaire). Mais bon ce qui est le plus utile dans une maison ce sont les "latrines, comme le dit si bien Théophile Gautier, et la beauté ne s'accommode pas mal d'une certaine inutilité. En d'autre termes, c'est clairement ce qui n'a plus cours au présent, et ne correspond à aucun usage de la vie moderne en 2012. C'est une réalité lointaine, exotique ( mais c'est déjà le cas du temps même de Racine, qui parle d'un éloignement nécessaire, d'où le choix de personnages mythologiques etc.).
En ce sens, la culture aujourd'hui, dans nos sociétés irrémédiablement industrielles et techniciennes (et accessoirement démocratiques), c'est nécessairement ce qui a été perdu, et ce qui ne se fait plus. Ainsi, aucun écrivain n'écrit des tragédies à la manière de Racine ou ne s'exprime en alexandrins. Quand bien même il le ferait, il serait ridicule. Un objet ne devient culturel qu'au moment où il meurt, en tant qu'objet passé. Ce qui survit cependant, à l'état de traces, c'est le texte original, qu'on continue de transmettre, à la façon d'un culte religieux, d'une cérémonie liturgique. On ressuscite et réactualise le texte (la pièce) le temps d'une messe théâtrale. Mais cela suppose que l'objet du culte soit bel et bien mort. Hegel a déjà magistralement repéré ce processus dans sa célèbre théorie de la mort de l'art.
C'est un peu comme en ethnologie. J'ai entendu un ethnologue spécialiste du Maghreb expliquer son entreprise de recueillir et d'enregistrer des chants touaregs, transmis depuis des lustres. Au moment même où ces chants étaient publiés , ils disparaissaient peu à peu des pratiques quotidiennes, les jeunes générations étant gagnées par l'américanisation et l'occidentalisation. Mais précisément l'entreprise de connaissance s'identifie ici à une entreprise de sauvegarde du patrimoine: on veut connaitre ces chants pour ne pas les perdre mais c'est justement le signe qu'ils sont déjà perdus. Bref, les chants touaregs deviennent alors définitivement des objets culturels et folkloriques (et objets de savoir). Pourtant ils existaient solidement, sous forme de transmission orale, avant leur intégration dans le culturel parce qu'ils étaient inscrits et pratiqués dans la vie même des membres de cette communauté.
De même, Phèdre de Racine c'est notre folklore littéraire, participant d'une identité littéraire nationale qu'on essaie à tout prix de sauvegarder.
La culture générale, si elle garde un certain prestige voire si elle intimide, est précisément ce qui est refoulé et écarté par nos sociétés, de plus en plus férocement incultes.
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