Le meurtre absolument
immonde, inimaginable de ce Luka Roko Magnotta, pauvre agent humain
servant à manifester la face incontrôlable et perverse de la
société moderne tardive, individu parfaitement dégénéré et
incertain de son identité, de son être comme en témoignent son
aspect androgyne et l'emploi de pseudonymes, ce meurtre donc semble franchir un
palier inédit dans l'horreur, et c'est bien ce que la majorité des
réactions s'accorde à reconnaître : il y a là quelque chose
de jamais fait et vu dans le choquant. Comme le reconnaît le site de gore extrême
hébergeant des vidéos de cet acabit, il s'agit des images les plus
atroces et insoutenables jamais diffusées.
Au delà de l'acte
barbare, il distille un malaise particulier, insidieux, qui infecte
l'âme, et dit quelque chose de notre société profondément malade.
Oui, il y a quelque chose de pourri dans notre société hyper
mondialisée, médiatisée , connectée et technologisée.
Tout d'abord, c'est ce
mélange de violence et de jouissance, qu'on appelle le sadisme, qui
interpelle. L'acte de mort et de mutilation s'inscrit dans un rituel
sexuel sm, et le meurtrier s'en prend à un amant. Les noces du sexe et
de la mort, d'Eros et de Thanatos, semblent ici être célébrées par un
officiant pratiquant une danse macabre dans le cadre d'une messe
sataniste et gothique. L'ombre de Georges bataille plane. Mais
surtout, c'est la pulsion, la jouissance scopique, la jouissance de
voir, qui est visée. L'acte est bien sur destiné à être filmé et
surtout diffusé à une large échelle grâce à la force de frappe
du net. Son atrocité indépassable , établissant une sorte de
record, garantissait un retentissement considérable dans les
réseaux et donc une notoriété à son auteur. Il y a une intention
esthétique manifeste, qui chercherait à appliquer cette formule de
Thomas de Quincey « De l'assassinat considéré comme un des
Beaux Arts »
La visée narcissique
est évidente et assumée : la gloire et l'immense satisfaction
de se dire face à l'humanité effrayée « I am the devil ».
De fait, l'impact mondial et démesuré de cette histoire, accompagné
du récit en temps réel de sa traque entre Montréal, Paris et
Berlin, semble hélas lui donner raison.
C'est un meurtre de l'age
de la mondialisation et d'internet. C'est l'acte accompagné
nécessairement de la mise en scène et du spectacle de cet acte, de
sa consommation et jouissance immédiate. La réalité provoquée
dans l'idée de sa représentation et de sa médiatisation. Autrement
dit, le réel d'emblée contaminé par l'imaginaire (le cerveau
malade du tueur) et surtout par le virtuel. Le réel et son double.
Si cet homme, cet ex acteur de film porno, est dérangé, c'est bien
parce que le fantasme exerce son emprise sur le reste de la vie, au
point que la réalité doit lui être pliée. Car cet acte
abominable n'est rien d'autre que la réalisation d'un fantasme (mais
c'est un b-a.ba de la psychanalyse: les fantasmes ne sont pas fait
pour être vécus). Paroxysme du rapport psychotique au monde, qui
est l'une des vérités de la société de l'information. Plus
encore, la réalité doit imiter l'art, elle doit ressembler à un
film puisque il s'agit visiblement de reproduire une scène de cinéma
gore. Certes, c'est la sinistre tradition du snuff movie, où le
caractère réel, et non pas simulé ou joué, des actes représentés
est censé apporter un surplus de jouissance. Mais de fait ce
Magnotta (pseudonyme choisi pour son coté médiatiquement
valorisant) a voulu vivre tous ces événements comme un film, une
super production d'horreur à la taille du monde dont il est le héros et le metteur en scène, sans
véritablement chercher à fuir. Il faut reconnaître, et il y a de
quoi s'inquiéter, que dans certains faits divers récents, on
observe certains traits similaires, notamment cet usage intensif d'Internet, cette recherche de
gloire médiatique et de jouissance spectaculaire, et difficile de ne
pas faire le rapprochement ici avec Mohammed Merah, qui commettait
ses crimes en les filmant, muni d'une caméra portative, afin ensuite
de les diffuser sur le net.
Ainsi, à un autre niveau
de malfaisance, il y a la diffusion des images sur le net, et leur
caractère incontrôlable, et cela aussi a été sans doute prévu
par le criminel, fait partie de son plan diabolique. Cet aspect est
lié au fonctionnement même de la technologie Internet, comme on le
sait, apparenté à un mode viral. La police ne parvient pas en effet
à éliminer les traces de la vidéo qui circule et se duplique et
qui n'en doutons pas est téléchargée à qui mieux mieux. Ce sont
là comme autant d'emblèmes du mal absolu qui se reproduisent et se
multiplient, disponibles et consommables, comme autant de miroirs de
notre propre perversité. La perversité humaine, celle du meurtrier et celle des spectateurs, est relayée par la
dimension autonome et aliénante de la technique. Comme toujours la
fameuse liberté numérique, revendiquée par les hackers et autres
geeks, doit se payer de cette liberté là : héberger, diffuser
et visionner le mal. Vieux débat théologique: si Dieu a laissé
l'homme libre, il l'a laissé libre aussi de faire le mal. Toujours
est il que, comme Jean Baudrillard le ressentait tristement, la
réalité est ici comme dépassée par son médium, le réel envahi
par ses reflets dans le miroir, et la technologie amplifie ce
processus délétère. Plus encore, étant donné que sur le net, ce
sont les internautes, les agents actifs de la mondialisation (c'est
à dire « nous »), qui par curiosité consultent la vidéo
et contribuent à sa propagation, alors on peut dire que cette
affaire nous révèle de façon horrible que d'une part les faits
divers d'aujourd'hui participent d'un spectacle pornographique non
stop et que « nous ne ne sommes plus devant une scène, nous
sommes en réseau, nous sommes le réseau » (Baudrillard)
No comments:
Post a Comment