Tuesday, June 05, 2012

A propos de l'affaire Magnotta, fait divers à l'heure de la société de l'information



Le meurtre absolument immonde, inimaginable de ce Luka Roko Magnotta, pauvre agent humain servant à manifester la face incontrôlable et perverse de la société moderne tardive, individu parfaitement dégénéré et incertain de son identité, de son être comme en témoignent son aspect androgyne et l'emploi de pseudonymes, ce meurtre donc semble franchir un palier inédit dans l'horreur, et c'est bien ce que la majorité des réactions s'accorde à reconnaître : il y a là quelque chose de jamais fait et vu dans le choquant. Comme le reconnaît le site de gore extrême hébergeant des vidéos de cet acabit, il s'agit des images les plus atroces et insoutenables jamais diffusées.
Au delà de l'acte barbare, il distille un malaise particulier, insidieux, qui infecte l'âme, et dit quelque chose de notre société profondément malade. Oui, il y a quelque chose de pourri dans notre société hyper mondialisée, médiatisée , connectée et technologisée.
Tout d'abord, c'est ce mélange de violence et de jouissance, qu'on appelle le sadisme, qui interpelle. L'acte de mort et de mutilation s'inscrit dans un rituel sexuel sm, et le meurtrier s'en prend à un amant. Les noces du sexe et de la mort, d'Eros et de Thanatos, semblent ici être célébrées par un officiant pratiquant une danse macabre dans le cadre d'une messe sataniste et gothique. L'ombre de Georges bataille plane. Mais surtout, c'est la pulsion, la jouissance scopique, la jouissance de voir, qui est visée. L'acte est bien sur destiné à être filmé et surtout diffusé à une large échelle grâce à la force de frappe du net. Son atrocité indépassable , établissant une sorte de record, garantissait un retentissement considérable dans les réseaux et donc une notoriété à son auteur. Il y a une intention esthétique manifeste, qui chercherait à appliquer cette formule de Thomas de Quincey «  De l'assassinat considéré comme un des Beaux Arts »
La visée narcissique est évidente et assumée : la gloire et l'immense satisfaction de se dire face à l'humanité effrayée « I am the devil ». De fait, l'impact mondial et démesuré de cette histoire, accompagné du récit en temps réel de sa traque entre Montréal, Paris et Berlin, semble hélas lui donner raison.
C'est un meurtre de l'age de la mondialisation et d'internet. C'est l'acte accompagné nécessairement de la mise en scène et du spectacle de cet acte, de sa consommation et jouissance immédiate. La réalité provoquée dans l'idée de sa représentation et de sa médiatisation. Autrement dit, le réel d'emblée contaminé par l'imaginaire (le cerveau malade du tueur) et surtout par le virtuel. Le réel et son double. Si cet homme, cet ex acteur de film porno, est dérangé, c'est bien parce que le fantasme exerce son emprise sur le reste de la vie, au point que la réalité doit lui être pliée. Car cet acte abominable n'est rien d'autre que la réalisation d'un fantasme (mais c'est un b-a.ba de la psychanalyse: les fantasmes ne sont pas fait pour être vécus). Paroxysme du rapport psychotique au monde, qui est l'une des vérités de la société de l'information. Plus encore, la réalité doit imiter l'art, elle doit ressembler à un film puisque il s'agit visiblement de reproduire une scène de cinéma gore. Certes, c'est la sinistre tradition du snuff movie, où le caractère réel, et non pas simulé ou joué, des actes représentés est censé apporter un surplus de jouissance. Mais de fait ce Magnotta (pseudonyme choisi pour son coté médiatiquement valorisant) a voulu vivre tous ces événements comme un film, une super production d'horreur à la taille du monde dont il est le héros et le metteur en scène, sans véritablement chercher à fuir. Il faut reconnaître, et il y a de quoi s'inquiéter, que dans certains faits divers récents, on observe certains traits similaires, notamment cet usage intensif d'Internet, cette recherche de gloire médiatique et de jouissance spectaculaire, et difficile de ne pas faire le rapprochement ici avec Mohammed Merah, qui commettait ses crimes en les filmant, muni d'une caméra portative, afin ensuite de les diffuser sur le net.
Ainsi, à un autre niveau de malfaisance, il y a la diffusion des images sur le net, et leur caractère incontrôlable, et cela aussi a été sans doute prévu par le criminel, fait partie de son plan diabolique. Cet aspect est lié au fonctionnement même de la technologie Internet, comme on le sait, apparenté à un mode viral. La police ne parvient pas en effet à éliminer les traces de la vidéo qui circule et se duplique et qui n'en doutons pas est téléchargée à qui mieux mieux. Ce sont là comme autant d'emblèmes du mal absolu qui se reproduisent et se multiplient, disponibles et consommables, comme autant de miroirs de notre propre perversité. La perversité humaine, celle du meurtrier et celle des spectateurs, est relayée par la dimension autonome et aliénante de la technique. Comme toujours la fameuse liberté numérique, revendiquée par les hackers et autres geeks, doit se payer de cette liberté là : héberger, diffuser et visionner le mal. Vieux débat théologique: si Dieu a laissé l'homme libre, il l'a laissé libre aussi de faire le mal. Toujours est il que, comme Jean Baudrillard le ressentait tristement, la réalité est ici comme dépassée par son médium, le réel envahi par ses reflets dans le miroir, et la technologie amplifie ce processus délétère. Plus encore, étant donné que sur le net, ce sont les internautes, les agents actifs de la mondialisation (c'est à dire « nous »), qui par curiosité consultent la vidéo et contribuent à sa propagation, alors on peut dire que cette affaire nous révèle de façon horrible que d'une part les faits divers d'aujourd'hui participent d'un spectacle pornographique non stop et que « nous ne ne sommes plus devant une scène, nous sommes en réseau, nous sommes le réseau » (Baudrillard)

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